mardi 7 octobre 2008

Winschluss et Cizo, Monsieur Ferraille

Je commence ma lecture de Monsieur Ferraille, curieuse et un peu effrayée. Il ressemble au "Tin Man" dans le film "Le Magicien d'Oz", et les petits animaux de la forêt, des symboles de l'innocence, le regardent avec l'air un peu nerveux. Sur la deuxième planche, il y a une statue de Mr Ferraille qui chevauche un humain, ce qui me fait penser des romans et des films dystopiens, dans lesquels les robots contrôlent le monde. Mais il y a aussi les oiseaux qui perchent sur cette statue, qui indique peut-être un sentiment de naturalisme, un style employé dans des romans naturalistes {dans le style américain et non le style français}, qui ont essayé de montrer le monde comme il est et aussi de dire que la nature existera toujours, même si les humains disparaissent.

Mais bien, à la lecture!

"Vamos à la playa" - Allons à la plage, très bien. Le trait est très simple, presque primitif dans un sens; ça a l'air plus d'un esquisse que quelque chose de complet. Les couleurs sont très claires, et les auteurs utilisent aussi des points Benday partout qui colorent, par exemple, le ciel et le sable à la plage. Il y a aussi des moments où on imite peut-être Picasso, où les éléments d'un visage ne sont pas tout à fait corrects {comme sur la première planche avec les femmes sur la plage}.

L'histoire est une sorte de conte du vilain petit canard à l'envers; Bob boit l'elixir magique et change d'un garçon sympathique {nous supposons} à un mec grossier.

La deuxième planche est même plus effrayante; il y a deux "professeurs" avec des noms et des accents allemands, le premier duquel ressemble beaucoup à Adolf Hitler. Génial! Les couleurs sont même plus primitives - un jaune fadasse, un rose très clair, le noir, et un peu de rouge. Bien que l'organisation des cases soit assez traditionnelle, on utilise quelquefois des prises de vues étranges, comme dans la troisième avant-dernière case sur cette planche, dans laquelle tout penche à droite. Dans la prochaine case, le sens de l'inachevé retourne, comme les blouses blanches des professeurs ne sont pas complètement représentées.

On ajoute aussi des petits éléments vulgaires dont on ne s'apercevait peut-être pas si on ne lisait pas de très près. Dans l'avant-dernière case, nous voyons un fœtus et deux yeux dans des pots, et le poulet aux mains du professeur-Hitler crotte sur la table.

Une bonne case toute en rouge, avec le sourire sadique du professeur-Hitler qui tue le poulet. La case d'en bas ajoute au sentiment de l'inachevé, parce qu'on y voit des taches d'encre à l'arrière-plan. Après cela, une scène charmante avec des soldats sans tête, des avions qui laissent tomber des bombes, et la vue aussi des professeurs qui rient. Est-ce que moi, ou est-ce que les lignes des bottes des soldats rappellent aux swastikas?

Quand il est mort, tout ce qui concerne ce premier professeur est en blanc et noir, comme si la vie lui donnait la couleur.

J'aime bien la prise de vue de l'autre professeur qui conduit sur la planche 8, et le minimalisme avec lequel on représente la voiture - il y a des carrés noirs qui nous rappellent des fenêtres.

L'humour, bien sûr, est noir, noir, NOIR. Et l'ironie le souligne, comme dans la case sur la planche 9 où le professeur vivant lit le journal qui dit "Un poulet sans tête en ville", pendant que sa femme-sans-tête fait le ménage. Je me demande si l'ampoule au-dessus de sa tête {"sa" n'est pas ambiguë dans ce cas, parce qu'il n'y a qu'un personnage qui en a} au moment où il est frappé par l'idée de baiser sa femme-sans-tête était mis là exprès. Et le sperme qui sort du cou de la femme. Bravo.

Il rêve d'une scie, tout comme le Bob de la première petite histoire. Coïncidence?

Il est en blanc et noir devant la télé après qu'elle l'a quitté. Elle était sa vie...ou mon interprétation ne marche pas {plus probable}.

C'est intéressant que la grand-mère de Bob ne dit rien en ce qui concerne la bestialité qu'il commit.

Ah, quelle parodie de Pinocchio, la naissance de Monsieur Ferraille {avec un créateur espagnole qui est ivrogne, et un cafard - au lieu du grillon - qui fume et dit "merde"}. Mais M. Gonzalez rêve aussi d'une scie qui coupe une bouteille. On imite la Fée Bleue de Walt Disney, mais ses traits deviennent grotesque lorsque Monsieur Ferraille montre son vrai caractère. Ici, il est le seul personnage sur lequel on emploie la ligne claire, pour montrer peut-être qu'il est fait en métal. Cette histoire a un peu plus de couleur que les autres, comme c'est une sorte de conte de fées, mais c'est évidemment aussi dégueulasse que les autres...Betty Boop, un vieux symbole de sexe des dessins animés, devient ici une vraie putain; encore une imitation qui est corrompue. Et, à la fin, c'est une publicité pour Monsieur Ferraille, qui tue les consciences...à un prix.

Chaque personnage qui joue tout un chacun s'appelle Bob.

Sur la planche 17, le trait imite les comics américains, avec les bulles jaunes et dentelées, les points Benday, les légendes partout {et en anglais} et ceux en jaune qui décrivent la scène, l'air relativement complet, et l'histoire de Monsieur Ferraille qui travaille pour un journal comme...

Superman!


Et voilà aussi Velma, de Scooby Doo...qui s'appelle Marguerite Duras comme l'écrivain et scénariste de "Hiroshima, Mon Amour".

J'aime la partie de cette histoire qui ressemble à un panneau d'avertissement {sur la planche 19 avec l'incendie}.

En ce qui concerne l'autoréférentialité, l'histoire de Monsieur Ferraille et ses créateurs est évidemment ça...avec les noms Waltshluss et Gonzo, par exemple. Ils font des références aux planches d'avant, comme l'idée de Monsieur Ferraille comme Superman, ou le nom de Helmut {le professeur de la première histoire, qui dit "Je vais être le maître du monde...une deuxième fois!}. Ils mélangent encore des allusions aux comics américains {Superman avec la couverture et le vaisseau, Batman avec le meurtre de ses parents et l'héritage, les annonces à la fin de chaque numéro de la série}. De plus, l'action commence dans les années 1930, "l'âge d'or" des comics américains {selon certains gens}. Ils analysent même leur propre série {e.g. l'apparence de Bob pendant la Deuxième Guerre Mondiale}, comme nous avons fait avec les exposés sur des vielles BDs. Et, comme Joann Sfar, ils envoient Monsieur Ferraille au festival de BD à Angoulême, où on voit Batman, Robin, Astérix, Donald Duck, les Schtroumpfs, et quelques autres.

Les créateurs changent de style souvent, pour ne pas s'associer avec un style particulier, et ils choisissent le style qui convient ce qu'ils imitent {par exemple, des comics américains, ou la ligne claire dans les publicités}.

Et voici, à la fin, le résultat du présence de Monsieur Ferraille dans la forêt des petits animaux mignons...tout est détruit. Une conclusion parfaite.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est très bien, vous avez vu que l'humour de Ferraille repose aussi sur la culture "savante". Si Velma s'appelle Marguerite Duras, c'est à cause de la jupe plissée et du pull-over à col roulé, qui étaient à la fin de sa vie l'unique "costume" de Duras... Il ne vous a pas échappé non plus que si Betty Boop devient une pute, c'est en effet parce qu'elle est déjà une femme-objet : la caricature critique ce qu'elle déforme.