mercredi 19 novembre 2008

On vit une époque formidable

Le style de Reiser dans cette BD n'est pas du tout joli...d'ailleurs, l'humour ne l'est pas non plus, évidemment. Ces deux aspects laids se jouent l'un sur l'autre, un truc qu'utilisent certains autres artistes, comme les dessinateurs de Ren & Stimpy:



Moi, je trouve ce style de dessiner très moche, mais tout ce dont on parle est évidemment pas très joli non plus - presque tout est basé sur l'humour scatologique. Ce n'est pas peut-être un commentaire sur la nature humaine comme celui de Reiser, mais ça fonctionne d'une manière un peu similaire.

Cette idée {mélanger un style laid avec des thèmes laids} se trouve aussi dans la littérature, comme chez Rabelais, dans son œuvre Gargantua. Surtout, Rabelais a voulu prouver qu'on peut enrichir la langue sans qu'on crée exclusivement des mots qui décrivent les objets et les processus plaisants. Afin d'avoir un milieu pour inventer des mots comme ça, Rabelais a écrit une histoire dégoûtante sur un géant-bébé, et bien que cette œuvre ne s'agisse pas d'un humain, l'histoire révèle un peu la nature humaine - il n'y a pas que les choses belles dans notre monde et parmi notre espèce. C'est un peu l'idée de Reiser avec ce genre de dessin; les humains ne sont pas tous beaux ni séduisants, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Il me semble, dans l'ensemble, que cette BD s'agit de la satire sociale qui joue sur les stéréotypes, et bien que ce soit faite en 1982, ces clichés-là sont encore vrais. Par exemple, chez la famille qui fête le 31 décembre et qui prend soudain l'attitude que « rien n'est certain, alors faisons n'importe quoi », ils se révèlent tous humains et prêts à jeter les règles sociales, mais entre eux et non dans la vue du public. Cette idée de la vie publique contre la vie privée est toujours un thème dans la satire sociale, parce que la sexualité, par exemple, est encore tabou, surtout celle des vieux comme nous avons dit.

En générale, Reiser nous montre ce que nous ne voulons pas voir, comme la sexualité des vieux, les conflits entre les classes sociales {avec les pauvres qui imitent les riches}, les aspects de l'église corrompus, l'ignorance des gens autour des ennuis des autres. Cette partie en particulier me fait penser au phénomène qui s'appelle l'effet du témoin. En bref, on ne fait pas attention aux choses horribles qui se passent quand il y a plusieurs autres personnes à proximité; on ne prend pas la responsabilité d'aider les autres. Reiser se moque des gens qui ignorent quelque chose qui « n'est pas leur affaire » en montrant le couple qui ne dit rien pour éviter des « histoires avec les automobilistes », etc. et qui continue ce genre d'ignorance jusqu'au point où on viole la femme et le mari ne dit rien. Comme avec toutes les blagues de cette BD, Reiser mène les concepts à l'extrême pour qu'on voie à quel point ils sont ridicules.

Enfin, pour le style, le dessin a l'air inachevé, mais ça sert à autre chose aussi. À cause du croquis qu'emploie Reiser, les traits prennent quelquefois plusieurs significations. Par exemple, sur la planche 36 on voit une ligne à côté du train qui sert à la fois d'une frontière entre l'espace du narrateur qui raconte l'histoire avec le couple qui se rencontre, et d'une ligne sur la route qui suit le motif des autres lignes qui la précèdent. Ou bien, comme on a remarqué pendant la classe, les traits à côté de la taille d'un personnage peuvent représenter également le mouvement aussi bien que les fesses. Cette ambiguïté est un peu, encore une fois, comme les dessins qu'on peut voir en tant qu'image différente si on les met à l'envers.
Ça me fait penser aussi à l'œuvre de Bev Doolittle, qui s'intéresse à la culture indigène de l'Amérique ainsi que de l'illusion. Par exemple...

Voici l'une de mes préférées. Cherchez l'image cachée.

Si vous voulez en regarder plus, allez ici.

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