dimanche 14 décembre 2008

La biographie

Ce serait ma dernière entrée dans ce journal, à moins que je continue un jour ma recherche dans ce monde {j'espère que oui!}. Alors, peut-être un jour y aura-t-il un nouveau message ici; je vous laisse en suspense.

Marjane Satrapi, Persepolis

Le style de cette BD est assez différent; comme on a discuté, il ressemble aux vieilles gravures sur bois:
J'aime aussi l'organisation des cases, qui sont plutôt comme des plans d'un film. Par exemple, sur la planche 3, elle montre les révolutionnaires, leurs bras dans l'air, tout synchronisés et non réalistes. Elle l'a combiné avec son idée du blanc sur noir; dans les cases où l'action qui se passe est plutôt sur un arrière-plan de noir et où elle utilise l'espace négatif, elle veut montrer des événements dans sa vie dont elle ne se souvient pas, mais dont elle a entendus. Cet effet a deux aspects que je trouve importants.

1. Ces « souvenirs » ne sont donc que les choses dont elle est censée se souvenir, et l'image qu'elle en a créée vient des paroles de quelqu'un d'autre ou d'une image dans les médias qu'elle a vue. C'est comme les histoires que nous entendons de notre enfance - la fois où Caroline a mangé les sandwiches de beurre de cacahuète de son frère et de son ami aînés pendant qu'ils étaient dans la salle de bains, ou la fois où Caroline a vomi dans la bouche de sa marraine {je ne peux pas l'avouer, car je ne me souviens pas de cet incident, mais je peux vous dire que je n'avais qu'un an, alors on ne peut pas se fâcher trop contre moi pour ça}. D'une manière, alors, c'est comme un film parce que c'est une représentation idéalisée ou stylisée par quelqu'un, et non un « vrai » souvenir ou une « vraie » image. C'est plutôt très artistique, comme un film, ou comme une peinture de David.



2. Le noir et blanc et le contraste entre eux en combinaison avec une image qui est évidemment pas une représentation d'une vraie image donne un grand effet de l'expressionnisme.
Pour faire bonne mesure.

L'expressionnisme {comme vous le savez bien, je suppose} est surtout basé sur le monde intérieur de l'artiste; on montre ce qu'on voit dans la tête ou ce qu'on ressent, et Satrapi nous indique avec ces images que sa BD est pleine de cette sorte de représentation, ce qui n'est pas choquant puisque c'est une auto-biographie. Il y a aussi le contraste entre le « 'je' narrant » et je « 'je' narré », où elle nous donne de la perspective car nous voyons ainsi son opinion comme adulte qui s'en souvient et comme enfant qui le vit.

J'aime aussi qu'elle compare son image de Dieu à la photo de Marx; quand j'étais petite, j'ai vu un Dieu qui ressemblait parfaitement au prêtre de ma paroisse.

À la risque d'être un peu égoïste, je vous montre un autre exemple de l'expressionnisme que je connais bien, puisque j'y ai joué une fois. Et voilà un joli personnage de notre représentation:

Évidemment, il n'est pas censé ressembler à quelque chose de vrai. J'aime bien l'expressionnisme; ça fait vraiment une partie importante de théâtre, je pense.


Joann Sfar, Piano

Je vois cette BD comme un album {il n'y a pas vraiment un mot en français pour « scrapbook », mais c'est ce que c'est} de la vie de Sfar. Il arrange les parties de sa vie un peu au hasard, il nous semble, mais il revient toujours aux sujets déjà mentionnés. Par exemple, sur la planche 3, il parle de Franz Kafka, puis il va directement à une anecdote avec sa femme qui parle d'autres BDs. Juste après, il décrit son groupe de rock; en ce moment, nous pensons qu'il raconte des petites parties de sa vie sans organisation. Mais il nous surprend - sur cette même planche, à la fin, il dessine le guitariste de son groupe qui, dit-il, ressemble à Franz Kafka. C'est un peu une histoire circulaire, mais j'aime bien ce style - partiellement parce que moi, je raconte des histoires de la même façon. Par exemple...

Ah, ouais, Franz Kafka. Un jour, quand je parlais aux amis dans le théâtre au lycée {et maintenant, vous dites « quoi? ça n'a rien à voir »}, quelqu'un m'a raconté l'histoire du soir précédent; il avait fait des « cookies existentialistes ». Comment ça fonctionne? On les prépare, on les met au four, puis quand on sent qu'ils brûlent, on dit « Ça n'a pas d'importance; nous allons tous mourir un jour ». Et c'est parce que son frère lisait La Métamorphose qu'il avait eu cette idée.

Et voilà. Enfin, nous voyons la connexion {j'ai un ami qui appelle ce processus « le retour à la colonne », c'est-à-dire, la colonne qui représente une conversation complète, les parties de laquelle se suivent logiquement}. Dans ce cas, c'est un peu tiré par les cheveux, mais c'était le seul exemple assez court dont je pouvais penser, et je ne veux pas vous faire lire des longues histoires qui n'ont vraiment rien à voir avec cette entrée.

De toute façon, un autre aspect de cet album que j'aime bien l'usage de peinture pour aquarelle. Les dessins sont comme des croquis, parce que Sfar s'occupe plutôt de l'histoire, et quelquefois il ajoute de la peinture à l'arrière-plan ou même pour représenter un objet. Sur la planche 9, il se dessine en chien, assis à son bureau sur lequel il y a une lampe. Dans la prochaine case, la lampe n'est pas dessiné, mais on voit ce qui serait à l'intérieur du contour s'il y en avait. C'est-à-dire que Sfar y peint une lampe sans détail avec sa peinture pour aquarelle, et nous comprenons que c'est le même objet que dans la case précédente. Ce style un peu insouciant en combinaison avec le croquis donne l'effet d'un carnet {et c'est comme ça qu'on l'appelle}; c'est une sorte de journal privé de Sfar auquel nous avons le droit, au lieu d'une biographie bien composée où il essaie de montrer les traits les plus agréables de son caractère et de cacher les autres. Il ajoute, au lieu, des représentations de ses pensées, comme le petit diable sur la planche 27 qui dit « Non! Encore des anecdotes! », ou les flèches qui indiquent ses opinions vis-à-vis quelque chose dans le dessin.

Enfin, il y a un élément que j'ai trouvé très intéressant sur la planche 25. Sa femme lui dit « toi aussi, tu mens, dans tes livres ». Bien que ce soit une anecdote, les auteurs ajoutent des commentaires ou des indices comme ça à leurs œuvres pour nous faire réfléchir un peu: qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui est faux, ici? Dans son livre The Things They Carried, Tim O'Brien raconte plusieurs histoires de son expérience pendant la guerre en Viêt Nam. Puis, après quelque temps, il révèle qu'il y a des parties de son histoire qui ne sont pas vraies. Mais lesquelles? Il ne nous en dit rien. Ce style s'appelle la métafiction, et je me demande si Sfar s'en sert ici.



Bon, il y a beaucoup dont je pourrais parler dans ces deux BDs, mais ce pourrait bien faire des livres entiers, alors je m'arrête ici, parce que sinon je parlerais sans cesse. Hélas ! pauvre blog ! Je l'ai connu Loretio :)

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